Choisir une alimentation durable
L’histoire de l’agriculture est directement liée à la surconsommation de notre société. Plus nous cultivons de terres, plus nous produisons de nourriture. Plus nous appliquons d’eau, d’engrais et de pesticides, plus nos récoltes sont abondantes. Alors que l’agriculture moderne nourrit avec succès des milliards de personnes, celle-ci se fait bien souvent au détriment de la nature. Alors que la démographie progresse de plus en plus vers les 10 milliards de personnes, les impacts du changement climatique sont plus que jamais visibles.
« Les grandes avancées que nous devons voir dans le futur, se définissent comme une « intensification durable », c’est à dire que nous devons obtenir plus avec moins », explique Navin Ramankutty, directeur par intérim de l’Institut des ressources, de l’environnement et du développement durable de l’Université de la Colombie-Britannique.
Les débats sur l’avenir de l’alimentation et de l’agriculture sont souvent perçus comme un choix entre deux approches apparemment opposées. L’une, l’agriculture conventionnelle, vise à produire autant de nourriture que possible avec de vastes monocultures tributaires des systèmes d’irrigation, des engrais synthétiques et des pesticides. L’autre, l’agriculture biologique, privilégie la durabilité, en utilisant des intrants et des processus naturels pour rendre les exploitations plus hospitalières pour la nature.
Intensification durable
Un concept évolutif appelé intensification durable cherche à combler cet écart en prenant les meilleures idées des deux côtés et en minimisant leurs faiblesses, principalement la surutilisation d’engrais dans l’agriculture conventionnelle, et l’absence de rendements suffisants dans l’agriculture biologiques. Il reconnaît la nécessité de produire suffisamment de nourriture pour nourrir une population croissante, mais cherche à le faire de la manière la plus écologique possible. En particulier, il se concentre sur l’augmentation des rendements – la quantité de nourriture produite par unité de terre – comme un moyen de minimiser la nécessité de convertir les forêts et autres terres non cultivées en fermes.
L’intensification durable ne nécessite pas de technologies ou de pratiques particulières. Au lieu de cela, elle se concentre sur les résultats souhaités : plus de nourriture sur moins de terres, avec moins d’impact négatif sur l’environnement.
L’une des stratégies les plus prometteuses consiste à améliorer les variétés de cultures et les races de bétail. Le développement de semences résistantes aux ravageurs et aux maladies grâce à la sélection traditionnelle ou au génie génétique peut augmenter les rendements et réduire l’utilisation de pesticides. Les cultivars adaptés aux conditions locales et aux conditions météorologiques extrêmes, telles que la sécheresse et la chaleur, peuvent également aider les agriculteurs à produire plus de nourriture sans dégrader les écosystèmes.
Des technologies telles que les équipements agricoles de précision – qui combinent des données détaillées avec des robots, des capteurs et des images pour planter des graines et appliquer de l’eau, des engrais et des pesticides de manière plus efficace – peuvent augmenter la productivité des exploitations déjà à haut rendement tout en réduisant les coûts des intrants. Parmi une multitude de technologies gagnant-gagnant en cours de développement, on compte de meilleurs outils de prévision météorologique, qui aident les agriculteurs à choisir des dates optimales de plantation et de récolte, et des probiotiques liquides fixateurs d’azote, qui pourraient remplacer au moins certains engrais synthétiques.
Une autre stratégie consiste à faire pousser des cultures sur des jachères et à planter et récolter plus souvent sur des terres cultivées existantes. Cela augmente la productivité des terres déjà défrichées pour les cultures, réduisant le besoin de convertir les forêts et autres habitats naturels.
Système alimentaire durable
Bien que l’intensification durable soit un élément important pour que l’agriculture le soit également, elle ne peut pas faire le travail seule. Si nous essayons de produire suffisamment de nourriture pour répondre aux projections actuelles sans agrandir les terres cultivées, nous aurons besoin d’augmenter les rendements des cultures de 11% de 2006 à 2050 – plus que nous ne l’avons fait de 1962 à 2006 – un défi de taille étant donné que les gains passés sont largement attribués aux intrants ajoutés.
Elle doit donc s’accompagner d’une refonte du système alimentaire, pour tendre vers un modèle durable. Cela signifie lutter contre le gaspillage alimentaire et la suralimentation, mais aussi délaisser progressivement les régimes alimentaires de la viande et des produits laitiers, qui représentent une part démesurée de l’empreinte environnementale de l’agriculture.
De plus, dans ce que l’on appelle le paradoxe de Jevons, les gains d’efficacité peuvent inciter les agriculteurs à produire plus, ce qui peut entraîner un défrichement supplémentaire. Afin de tirer pleinement parti de l’intensification durable, il faut donc s’assurer d’un plus grand contrôle des destinations des terres, et d’une protection toujours plus accrue des zones naturelles, afin de les interdire à l’expansion agricole.
De nombreux défis demeurent, mais le calcul de l’intensification durable est simple : plus nous produirons de nourriture sur le moins de terrain possible et avec le moins d’impact environnemental, plus les humains – et la nature – seront en meilleure santé.